Voluptas Virilis (Volupté virile) (détail, vers 1900) — Frise allégorique monumentale ornant le hall d’une pinacothèque européenne dont les collections célébrent la beauté masculine.

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« Pour combler les vides laissés par les silences imposés, mes créations puisent dans l’héritage visuel existant et inventent les œuvres qui n’ont jamais pu voir le jour. »

Hommage et réappropriation : le queer riposte à la tradition

Au cœur de mon parcours artistique se trouve la réflexion d’un homme — artiste et historien de l’art — dont le désir, marqué par l’homosexualité, circule librement à travers les différentes formes de l’érotisme masculin.

Après une vie entière de pratique, je me suis demandé : que serait-il arrivé si, pendant des siècles, la société n’avait pas imposé comme unique modèle la relation entre hommes et femmes? Si nos désirs avaient eu le droit de s’exprimer librement dans l’art? Quelles images manquent aujourd’hui aux murs des musées? Mon travail propose une réponse : une exploration imaginaire de ce qu’aurait pu être l’histoire de l’art sans ces interdits.

Aujourd’hui, alors que des reculs menacent les acquis des dernières décennies, je m’interroge sur mon rôle dans cette lutte. Comment transmettre un message clair pour garder vivante cette mémoire, empêcher un nouvel effacement, et offrir aux générations futures une vision où nos identités et nos récits s’affirment sans compromis?

Vers un musée émancipé : Art, Corps et Liberté sans concessions

Je souhaite contribuer à la création d’un musée imaginaire, libéré des contraintes d’une histoire dominée par l’idée que seule l’hétérosexualité est légitime. C’est un lieu où mes univers de fantasmes peuvent s’exprimer librement, en apparence fidèle aux codes du passé mais qui en renverse les règles, et où l’art ancien peut enfin se libérer des normes restrictives qui ont pesé sur lui à travers les siècles.

Le monde d’art visuel que je mets en place propose une vision décomplexée de la sexualité : respectueuse de l’autre et toujours consentie, mais volontairement éloignée des modèles traditionnels réducteurs et moralisateurs qui, au final, oppriment tout le monde. C’est un espace où le corps et ses désirs peuvent être représentés dans leur splendeur retrouvée, sans honte ni répression.

Je ne cherche pas à critiquer les artistes du passé ni à minimiser les œuvres qui nous sont parvenues. Mon projet veut plutôt rappeler tout ce qui n’a jamais pu voir le jour à cause de la censure et de l’oppression. Mon travail agit comme un révélateur : il met en lumière ce qui a été caché ou effacé de la mémoire collective. Pour chaque œuvre où l’on perçoit un code homoérotique, il faut imaginer des centaines d’autres qui ont disparu, et qui auraient pu enrichir notre héritage visuel.

Remettre en cause cet ordre établi signifie rompre avec les systèmes qui perpétuent la honte du corps, de sa nudité et de sa sexualité. C’est un appel à un art libre et inclusif, où les musées exposent aussi ce que la société a voulu faire disparaître, et qui invite à repenser le rapport entre l’art et la société qui le façonne.

À travers ma pratique, je cherche déjà à créer une expérience de plaisir et d’intimité où l’homme gay peut se reconnaître et s’épanouir. Mais comme ces objectifs peuvent aussi se prêter à l’humour, il m’arrive souvent de m’éloigner du ton plus grave du monde de la culture. Parfois se glissent des clins d’œil cachés, parfois je m’amuse à inventer un univers gay et fantasy, à la fois intime et ludique.

Chimères et réinvention : l'IA au service de l'empowerment queer

Dans mon processus artistique, j’utilise parfois l’intelligence artificielle, car j’aime cette machine qui fouille dans l’inconscient de la mémoire du net. Elle agit comme un « subconscient générateur », produisant des images brutes et fragmentées qui apparaissent un peu comme des rêves ou des signaux cachés, témoins visuels de ce que la culture a longtemps réprimé.

 Les images commandées à la machine et produites par elle sont des chimères : morceaux de réel déformés, visions proches des rêves, absurdités parfois étranges mais souvent fécondes. Elles rappellent ce que Freud appelait le « travail du rêve » : mélanger certains éléments, en déplacer d’autres, et laisser surgir des désirs réprimés qui trouvent une issue imprévue dans l’image. J’y vois une matière à travailler, un terrain où les images censurées par la culture réapparaissent de façon éclatante.

Cette dynamique rejoint l’intuition des surréalistes, qui voulaient donner une forme visible aux productions de l’inconscient. Mon rôle d’artiste est de choisir, détourner et recomposer ces visions, en assumant même leurs erreurs ou excès pour leur donner un nouveau sens. C’est là que se joue la frontière entre ce qui est produit de façon automatique par la machine et ce qui devient un acte créatif.

À partir de ces esquisses, j’interviens avec une approche proche de la peinture : je fais des collages, je superpose des textures, j’ajoute de la matière, je joue sur les couleurs. L’image de départ se transforme alors pour rejoindre une tradition visuelle qui combine héritage classique et exploration numérique. L’œuvre finale garde la marque de ce dialogue : mon désir de créer, l’impulsion du prompt, le hasard génératif de l’IA et, surtout, mes choix artistiques qui réorientent et dépassent la matière brute.

Ce travail me permet d’explorer un imaginaire queer et fantastique en redonnant vie à des images longtemps censurées ou interdites. J’y vois une façon de réapproprier la représentation, de réparer symboliquement une absence et de donner enfin une place à celles et ceux dont les gestes d’affection, les étreintes et les désirs avaient été exclus de l’espace visuel. Mon but n’est donc pas de faire des copies, mais des pastiches : des images qui reprennent les modèles anciens — parfois au plus près, parfois en décalage — pour mieux montrer ce qui manque et ce qui aurait pu exister.

Redéfinir la virilité : une ode au corps masculin détournant la violence oppressive 

 Mon travail refuse de glorifier la bravoure guerrière, qui sert à maquiller la brutalité humaine et à la mettre au service de la conquête et de la domination. J’en condamne les usages oppressifs, tout en reprenant parfois ses codes pour mieux les détourner.

Ma critique ne se limite pas au rejet de la violence : elle s’écarte de la figure du héros dominateur, mais garde certains codes comme matière à jeu et à réinvention. Je ne nie pas la force ni le muscle, mais je les sépare de tout pouvoir non consenti, dans une dynamique volontaire et réversible. Mon travail devient une ode au corps masculin, affirmée mais libérée de toute prétention à la supériorité.

Quand j’accentue la musculation des personnages, c’est à la fois pour exprimer leur force et celle du projet critique que je porte, tout en utilisant les codes esthétiques de notre époque. Ces codes parlent directement à celui qui regarde et permettent de réinscrire l’homoérotisme dans l’histoire des représentations.

Je propose aussi une autre vision : au lieu d’affrontements mus par la haine ou la volonté de dominer, mes corps masculins s’unissent dans des gestes d’amour. La masculinité y est présentée de manière claire et homosexuelle, déconstruisant l’agressivité traditionnelle. S’il y a lutte, c’est un jeu; s’il y a corps-à-corps, c’est une étreinte; s’il y a heurts, c’est l’élan du désir.

Ainsi, mes œuvres mettent en avant les étreintes homosexuelles et les symboles de la masculinité, mais loin de la violence colonisatrice ou du mythe du héros triomphant.

 Ma lutte : responsabilité, coopération et engagement

Comme artiste et histoire de l’art, je me vois avant tout comme un passeur de culture, un relais entre les époques, avec la responsabilité d’apporter une contribution militante à notre temps.

Je crois que la coopération est aussi importante que la compétition dans la création et la transmission de la vie. Cette conviction va avec une humilité nécessaire : je ne peux pas, seul, mener tous les combats des communautés minoritaires ou persécutées en raison de leur sexe, de leur genre ou de leurs pratiques sexuelles consenties. Les luttes sont nombreuses, face aux idéologies qui veulent renvoyer les femmes aux rôles traditionnels et réduire les 2SLGBTQ+ à l’invisibilité, ou pire, à leur destruction.

 C’est pourquoi je me concentre sur ce que je peux offrir par ma propre expérience, en laissant à d’autres le soin de mener leurs luttes, tout en me tenant à leurs côtés comme allié.

QFA

Pour lire la version complète, rendez-vous dans le Chroniques d’un regard insoumis : Inventer l’inexistant

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